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Journée d'études | Le plaisir de la lecture
Les enquêtes menées sur l’enseignement du français dans le secondaire1 ont montré l’opposition entre deux approches de la lecture qui se succèdent au cours la scolarité des élèves : à l’école primaire et au collège, la lecture personnelle et le plaisir de lire sont valorisés, tandis que le lycée valorise plutôt la distance critique en mettant à distance la lecture empathique. Plus généralement, le plaisir de lire est souvent évacué des discours universitaires et enseignants sur la lecture et la littérature. Pourtant, l’expérience de la lecture, romanesque, poétique ou discursive, telle que chacun peut l’appréhender, laisse souvent place au plaisir, que celui-ci soit tiré de la beauté du style, du caractère trépidant de l’intrigue ou encore de la profondeur des réflexions suscitées par le texte.
À travers cette journée d’étude, on cherchera donc à interroger la place du plaisir de lire par rapport aux dominations symboliques et légitimistes qui le mettent à distance. La thématique transversale du plaisir de lire, nous semble en effet à même de questionner les représentations souvent clivées de la lecture, en mettant en avant la question de l’empathie, de l’expérience personnelle du lire et les processus affectifs et émotionnels au cœur de toute lecture, de manière interdisciplinaire. Seront bienvenues les communications relevant des études littéraires, des sciences humaines et sociales mais aussi des approches neurologiques, physiologiques ou cognitives du plaisir de lire. Les communications pourront notamment, mais non exclusivement, s’appuyer sur les axes suivants :
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Usages de la lecture et plaisir de lire
La variété des manières de lire est souvent appréhendée par les études universitaires sur un mode binaire (lecture critique / lecture empathique ; lecture savante / lecture « ordinaire »2, lecture lettrée / lecture populaire3), qui place fréquemment le plaisir de lire du côté « négatif » de l'axe. La « bonne lecture » serait ainsi du côté de l'expérience esthétique, de la mise à distance des affects, tandis que l'empathie, le divertissement caractériseraient une « mauvaise lecture ». Mais ne peut-il pas y avoir plaisir dans n'importe quel usage de la lecture, qu'il s'agisse de se divertir, de s'instruire, de réfléchir, de se former ou d'apprécier la beauté du texte4 ? Dans la lignée des études en sociologie de la réception5, les communications pourront ainsi se pencher sur la variété des usages de la lecture et des types de plaisir, sur leur juxtaposition au cours d'une même lecture. On pourra également s'interroger sur la place du plaisir dans les lectures imposées, sur l'articulation entre lectures scolaires et lectures personnelles6, tout en posant la question de la domination symbolique des lectures « légitimes » : quel rôle joue le choix, ou encore le désir de lire dans le plaisir de la lecture ? Se pose enfin la difficile question du plaisir dans la position et la lecture critique, souvent tabou, source de mauvaise conscience, mettant en avant une subjectivité problématique. Observe-t-on une séparation du « lecteur personnel » et du « lecteur professionnel », liée au plaisir non avoué de certaines lectures ?
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Mauvais genres, mauvais plaisirs ?
Les divers usages de la lecture dépendent en partie des genres (lit-on Proust ou Bourdieu de la même manière, pour les mêmes raisons, pour les mêmes buts ?) mais aussi de la valeur qui est attribuée à ces genres. On pourra donc se poser la question de l’articulation entre le plaisir de lire et les genres littéraires. Certains genres favorisent-ils le plaisir de lire, ou des plaisirs de lire spécifiques ? Les littératures dites « mineures » (littérature érotique, littérature de l’imaginaire, littérature graphique, littérature de jeunesse…) sont-elles pensées comme telles car elles favoriseraient un plaisir de lire non légitime ? Au contraire, la légitimation de genres auparavant pensés comme peu légitimes déplace et modifie les frontières entre « mauvais genres » et « lectures sérieuses ». On peut ainsi interroger la lecture savante de livres récemment réhabilités, impliquant des parcours de lecture parfois contradictoires. La consommation de « textes interdits » pouvant engager tout le corps, nous invitons aussi les communications explorant les ressorts neurologiques, physiologiques et psychologiques du plaisir de lire. On peut s’interroger sur le lien entre l’imagination, la fiction, la catharsis ou encore la poétisation du texte avec le ou les plaisirs de la lecture.
La question des représentations genrées du plaisir de lire peut également être posée, de façon diachronique et/ou synchronique. Pourquoi les discours médiatiques et critiques placent-ils souvent la lecture de plaisir et de fantasme du côté du féminin et la lecture sérieuse et esthète du côté7 du masculin ? Existe-t-il un lien entre les genres et le genre ? Les femmes préfèrent-elles certains genres et les hommes d’autres genres ? Comment penser cette répartition par rapport au goût et au plaisir de la lecture ? Quid des représentations (graphiques, littéraires, audiovisuelles…) des lecteurs et lectrices8 ?
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Le plaisir de se trouver : parcours de lecteurs et construction de soi
La lecture peut aussi être le lieu d’une sensualité sans eros, tout aussi décriée par les tenants d’une lecture savante et distanciée. La vogue de la bibliothérapie revendiquée par Régine Detambel ou Marc-Alain Ouaknin opère cette liaison entre la posture intellectuelle de la lecture des grands textes et la caresse matérielle et apaisante du livre9. Impertinent ou émollient, ce parti pris, à la suite des travaux menés en histoire de la lecture10, questionne la matérialité de la lecture (papier, numérique, orale) et ses postures corporelles, révélant ainsi les usages pratiques et sociaux du livre au service de l’individu.Ainsi, les émotions ressenties au cours de la lecture constituent aussi une expérience personnelle, qui fait appel à la subjectivité des lecteurs, à leur sensibilité et à leur vécu. Inversement, les lectures peuvent également jouer un rôle clé dans la construction de soi, ou encore dans le parcours des individus. Quelle place jouent les affects et notamment le plaisir dans cette interaction entre lecture et biographie de lecteur ?
Cet axe invite à explorer les liens entre parcours individuels de lecteurs et lectrices et plaisir de lire, notamment à travers les problématiques liées à la mémoire et au souvenir, qu'il s'agisse du plaisir pris à relire ou à retrouver un livre de son enfance ou de son adolescence11, ou encore de lectures qui résonnent avec son histoire personnelle et aident à l'éclairer12. On pourra également interroger les découvertes, les révélations lectorales qui participent à la construction de l'individu.
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Lecture et sociabilité ou le plaisir de partager
Les historiens de la lecture ont étudié une des « révolutions de la lecture » qui, au Moyen Âge, consiste à passer majoritairement de la lecture à voix haute à la lecture silencieuse13. Mais on peut réfléchir à certaines pratiques de lectures qui encore aujourd’hui maintiennent le partage au cœur de la lecture, et le plaisir que les lecteurs retirent de cette sociabilité. Parler de ses lectures, lire à plusieurs, lire à voix haute, sont autant de manières de renouer avec le plaisir oral du texte, soit que plusieurs acteurs participent à la lecture du texte (lecteurs et auditeurs), soit que la lecture d’un texte se continue dans les conseils, les avis, les critiques qu’on formule. La sociabilité autour de la lecture et les échanges amicaux et amoureux qu’elle favorise et entretient sont au cœur de certaines pratiques contemporaines comme la constitution de réseaux de lecteurs et lectrices14.On pensera aussi au plaisir de la lecture du soir qui réunit parents et enfants, ou encore de l’enseignement comme lieu d’un partage, ou d’une « scène transitionnelle15 ». Parents et enseignants sont autant de médiations qui font de la lecture du texte un partage affectif et intellectuel. De ce point de vue-là, nous invitons les participants à se pencher tout particulièrement sur la question des pratiques de lectures personnelles des enseignants et des universitaires, et du rôle que le plaisir de lire y tient, d’une part, et sur la place du plaisir de lire dans leurs pratiques pédagogiques d’autre part.
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- Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Détrez, Et pourtant ils lisent…, Paris, Seuil, 1999 et Fanny Renard, Les lycéens et la lecture, Rennes, PUR, 2011.
- Robert Darnton, “La lecture rousseauiste et un lecteur "ordinaire" au XVIIIe siècle”, in Roger Chartier, Pratiques de la lecture, Marseille, Payot & Rivages, 1985.
- Bernard Lahire, La raison des plus faibles, Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires, Lille, Presses universitaires de Lille, 1993.
- Gérard Mauger et Claude Poliak, “Les usages sociaux de la lecture”, Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 123, n°1, 1998, p. 3-24.
- Par exemple Annie Collovald et Erik Neveu, Lire le noir, Enquête sur les lecteurs de romans policiers, Paris, Édition de la Bibliothèque Publique d’Information, 2004.
- Morgane Maridet, “La khâgne, un nouveau chapitre : élaborations et reconstructions du rapport à la lecture des étudiants en classe préparatoire littéraire”, Thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle, Mai 2016.
- Janice Radway, Reading the Romance. Women, Patriarchy and Popular Literature, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1984.
- Bérénice Waty, « Radioscopie de grands lecteurs. La dimension physiologique de la lecture », Terrain, n° 53, 2009, p. 128-139.
- « Parfois ma lecture consiste précisément à oublier ce que je lis. Je promène mes yeux et mes doigts sur le papier, pour sa douceur, son odeur » Régine Detambel, Les livres prennent soin de nous, Actes sud, 2015.
- Roger Chartier, Pratiques de la lecture, Marseille, Payot & Rivages, 1985.
- « S’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus » Marcel Proust, Sur la lecture, 1906.
- Gérard Mauger, Claude Poliak et Bernard Pudal, Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, 1999. Jean-Louis Fabiani, Lire en prison, Paris, Bibliothèque Publique d’Information, 1995.
- Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, 1997.
- Esteban Buch, Martine Burgos et Christophe Evans, Sociabilités du livre et communautés de lecteurs. Trois études sur la sociabilité du livre, Paris, Éditions de la Bibliothèque Publique d’Information, 1996.
- Hélène Merlin, Lire dans la gueule du loup, Paris, Gallimard, 2015, §101 de l’édition électronique.
Document(s) à télécharger
- Programme de la journée PDF, 85 Ko
INFOS PRATIQUES
Frédérique Lozanorios
frederique.lozanorios@univ-lyon3.fr
Colloque / Séminaire
ThématiqueManifestations scientifiques, Culture, Lettres, Sciences sociales
Comité d'organisation
Comité scientifique
Irène Le Roy Ladurie (Université de Bourgogne, CPTC)
Morgane Maridet (Université Sorbonne Paris Cité, CRI)
Anne-Claire Marpeau (ENS de Lyon, CERCC)
Doriane Montmasson (Université Paris Descartes, Cerlis)