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E-formes 2 : Au risque du jeu
Alexandra SAEMMER & Monique MAZA (dir.), Ed. PU Saint-Etienne, 2011
Comprend un chapitre de Marida Di Crosta intitulé : Du jeu vidéo à l’écriture hybride du réel. World of Electors ou l’art de la re-médiation.
« Tout art est jeu » : cette formule est très couramment avancée lorsqu'il s'agit de discuter de la dimension ludique de l'art. Elle trouve l'un de ses fondements théoriques dans les thèses de Donald Winnicott, pour qui le jeu constitue toujours une expérience créative : il existerait un développement direct allant des phénomènes transitionnels au jeu, du jeu au jeu partagé et, de là, aux expériences culturelles : «C'est en jouant, et seulement en jouant, que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière.» Souvent les défenseurs du «tout-jeu» dans l'art omettent pourtant de mentionner les nuances que Donald Winnicott apporte à ses propos. Ainsi précise-t-il qu'il faut dissocier l'idée de la création de celle des œuvres d'art, et faire une distinction entre ce qui relève de l'art et ce qui s'inscrit dans le registre, plus large, de la culture. En effet, un bon jeu vidéo constitue incontestablement un produit culturel, mais pas toujours une œuvre d'art.
Même si l'art n'est donc pas réductible au jeu, il paraît tout aussi impossible de contester l'existence d'une dimension ludique dans l'art : n'est-ce pas l'un des privilèges fondamentaux de l'art de pouvoir jouer librement, de façon désintéressée avec les matériaux, les codes, les langages, alors que la science, l'artisanat et, dans ses branches industrialisées, le design sont «condamnés» à produire, à capitaliser ? Tant du côté de la réception que du côté de la création artistique, nous parlons par exemple de «jeux sur le langage» pour caractériser une certaine manipulation inhabituelle des conventions et des codes, tantôt légère et re-créative comme certaines plaisanteries (des witze), tantôt impertinente ou énigmatique comme certaines métaphores, tantôt vertigineuse ou éclairante comme certaines analogies.
Umberto Eco et Roland Barthes ont insisté sur le rôle du lecteur dans la constitution du sens, montrant que celui-ci pouvait être caractérisé comme une forme de « jeu avec le texte ». Cependant, cette lecture-jeu ressemble parfois à un « game » basé sur des règles, et parfois à un « play » libre, de pure découverte. La lecture, « activité cognitive de sélection et de production textuelle d'information », relève certes toujours du jeu sur le texte dans le sens qu'aucun lecteur ne sélectionne et ne produit exactement la même information à partir d'une base textuelle; certains textes semblent néanmoins plus contraints que d'autres, laissant moins de marges de manœuvre au jeu. Même si le « play » libre paraît par exemple acquérir une dimension particulièrement tangible dans le texte affecté de liens hypertextes parce que celui-ci devient «manipulable» et que chaque lecteur peut choisir ses chemins de traverse à travers le matériel proposé, il ne faut pas systématiquement surestimer l'ampleur de la liberté accordée au lecteur dans l'espace numérique : son interaction est parfois aussi contrainte que la lecture d'un article scientifique ou d'un manuel technique. Lorsque le lecteur clique par exemple, dans une bibliographie numérisée, sur une adresse web hyperliée et que la page indiquée s'affiche, peu de place est réservée au jeu libre avec le texte.
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ISBN : 9782862725659
Prix : 24 EUR
« Tout art est jeu » : cette formule est très couramment avancée lorsqu'il s'agit de discuter de la dimension ludique de l'art. Elle trouve l'un de ses fondements théoriques dans les thèses de Donald Winnicott, pour qui le jeu constitue toujours une expérience créative : il existerait un développement direct allant des phénomènes transitionnels au jeu, du jeu au jeu partagé et, de là, aux expériences culturelles : «C'est en jouant, et seulement en jouant, que l'individu, enfant ou adulte, est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière.» Souvent les défenseurs du «tout-jeu» dans l'art omettent pourtant de mentionner les nuances que Donald Winnicott apporte à ses propos. Ainsi précise-t-il qu'il faut dissocier l'idée de la création de celle des œuvres d'art, et faire une distinction entre ce qui relève de l'art et ce qui s'inscrit dans le registre, plus large, de la culture. En effet, un bon jeu vidéo constitue incontestablement un produit culturel, mais pas toujours une œuvre d'art.
Même si l'art n'est donc pas réductible au jeu, il paraît tout aussi impossible de contester l'existence d'une dimension ludique dans l'art : n'est-ce pas l'un des privilèges fondamentaux de l'art de pouvoir jouer librement, de façon désintéressée avec les matériaux, les codes, les langages, alors que la science, l'artisanat et, dans ses branches industrialisées, le design sont «condamnés» à produire, à capitaliser ? Tant du côté de la réception que du côté de la création artistique, nous parlons par exemple de «jeux sur le langage» pour caractériser une certaine manipulation inhabituelle des conventions et des codes, tantôt légère et re-créative comme certaines plaisanteries (des witze), tantôt impertinente ou énigmatique comme certaines métaphores, tantôt vertigineuse ou éclairante comme certaines analogies.
Umberto Eco et Roland Barthes ont insisté sur le rôle du lecteur dans la constitution du sens, montrant que celui-ci pouvait être caractérisé comme une forme de « jeu avec le texte ». Cependant, cette lecture-jeu ressemble parfois à un « game » basé sur des règles, et parfois à un « play » libre, de pure découverte. La lecture, « activité cognitive de sélection et de production textuelle d'information », relève certes toujours du jeu sur le texte dans le sens qu'aucun lecteur ne sélectionne et ne produit exactement la même information à partir d'une base textuelle; certains textes semblent néanmoins plus contraints que d'autres, laissant moins de marges de manœuvre au jeu. Même si le « play » libre paraît par exemple acquérir une dimension particulièrement tangible dans le texte affecté de liens hypertextes parce que celui-ci devient «manipulable» et que chaque lecteur peut choisir ses chemins de traverse à travers le matériel proposé, il ne faut pas systématiquement surestimer l'ampleur de la liberté accordée au lecteur dans l'espace numérique : son interaction est parfois aussi contrainte que la lecture d'un article scientifique ou d'un manuel technique. Lorsque le lecteur clique par exemple, dans une bibliographie numérisée, sur une adresse web hyperliée et que la page indiquée s'affiche, peu de place est réservée au jeu libre avec le texte.
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ISBN : 9782862725659
Prix : 24 EUR