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Colloque | Input Pictura Poesis
Le passage de la photographie de l’argentique au numérique a entraîné une prolifération des images, caractérisées désormais par leur très grande fluidité. « La disponibilité d’appareils photo aux innombrables modèles stimule outre mesure la production et l’usage d’images et de films », constate Raffaele Simone, « et, de manière générale, transforme le monde en objet à photographier (c’est-à-dire à faire voir plutôt qu’à connaître et expérimenter) »[1]. Les images circulent, s’échangent, invitent à l’appropriation[2]. Elles intègrent des documents disponibles sur Internet.
À ce titre, elles tissent des liens nouveaux avec les textes qui les accompagnent, les commentent ou les décrivent. Les blogs et sites d’écrivains en sont friands, et en proposent des emplois divers. Que l’image accompagne une note de journal personnel en ligne, ou qu’elle témoigne d’un instant saisi par un smartphone, elle semble contribuer à un développement nouveau d’une écriture de la notation[3], tout en rejouant la partition du hasard de la rencontre, inhérente écrit Yves Bonnefoy, à la photographie même[4]. Instagram, « une nouvelle façon de voir le monde »[5] ?
C’est une écriture du quotidien qui se nourrit de tels clichés renonçant à leur dimension monumentale pour tendre au document, et par là inviter à une écriture neuve du monde. Diffusée et ubiquitaire, l’image numérique en réseau peut être récupérée, remixée, pour donner lieu à des exercices de variations, qui entraîneraient les clichés, puisés sur Instagram ou Flickr, vers ce statut d’« images métamorphiques », jouant avec l’imagerie médiatique existante, et dont Jacques Rancière fait l’emblème d’une modernité esthétique[6].
Il n’est pas rare qu’une telle image compose un ensemble plurimédiatique, en un dialogue étroit, avec des textes qui dans leurs forme et format (souvent des formes brèves, et poétiques) rejouent le saisissement de l’instantané épiphanique. Bien des productions actuelles revisitent des genres anciens : c’est au collage que l’on pense en premier lieu, mais également au calligramme (voir les « nanodrames » de J.-F. Magre). Mais sans doute des pratiques inédites apparaissent-elles également, développant les potentialités de l’image numérique, fixe ou animée, ainsi que celles de l’hypertexte.
Quelle est par ailleurs la place de la fiction, qui semble mobilisée à nouveaux frais par l’ambition de dispositifs tels que Google Street View, Maps ou Earth, qui tendent à nous offrir une vision exhaustive de l’espace ? Des projets tels que Traque Traces de Cécile Portier visent à interroger au nom de l’habiter cette réduction photographique du monde à une masse de données – cette « datafication » que dénonce Éric Sadin[7] : « Cette fiction, écrit C. Portier, a ce but. Jouer avec les données au petit jeu de l'arroseur arrosé. Écrire les données qui nous écrivent. Refaire pour de faux leur grand travail sérieux d'analyse et d'objectivation. »[8] Le site GeoGreeting quant à lui, propose une telle réappropriation, d’ailleurs ludique, combinée à une exploration neuve des rapports entre texte et image : la surface de la terre y devient stock de hiéroglyphes, que tout usager peut combiner à sa guise, pour littéralement, écrire un texte d’images : http://www.geogreeting.com/view.html?ysxzEDUzsmDEBkUzyoCsC#t .
Mieux qu’une masse d’ekphraseis digitales, les textes accessibles sur le Net semblent instituer avec ces images de nouveaux iconotextes[9], que ce colloque se propose d’aborder, poursuivant les travaux des chercheurs engagés dans l’exploration du champ de la photolittérature[10].
____________________________
- R. Simone, Pris dans la Toile. L’esprit au temps du Web, Paris, Gallimard, 2012, p. 24.
- Voir André Gunthert, L’Image partagée. La photographie numérique, Paris, Textuel, 2015.
- Se reporter à Roland Barthes, La Préparation du roman I et II, Paris, Seuil/Imec, 2003, p. 86.
- Yves Bonnefoy, Poésie et photographie, Paris, Galilée, 2014.
- C’est le titre d’un billet de Pierre Ménard, sur son site liminaire.fr : http://www.liminaire.fr/entre-les-lignes/article/une-nouvelle-maniere-de-voir-le.
- Dans Le Destin des images, Paris, La Fabrique éditions, 2003.
- Éric Sadin, La Vie algorithmique. Critique de la raison numérique, Montreuil, L’Échappée, 2015, p. 60.
- http://petiteracine.net/traquetraces/node/137. Voir également l’atelier d’écriture mené par Pierre Ménard : http://letourdujour.tumblr.com/.
- Alain Montandon (dir.), Iconotextes, Paris, Ophrys, 1990.
- C’est à une telle poursuite des travaux que semble convier Jean-Pierre Montier, au terme de son introduction au volume collectif Transaction photolittéraires, Rennes, P.U.R., 2015, p. 59 : « Cette ouverture finale en direction du numérique, sans effacer loin s’en faut la tradition argentique, remet en perspective les questions fondamentales soulevées par la photolittérature, tout en pointant les ouvertures qui s’offrent grâce aux nouvelles technologies de l’image et du texte, lesquelles n’oblitèrent pas le livre classique, mais l’enrichissent en en modifiant les usages, en frayant des transactions ou (re)conversions potentielles, imprévisiblement. » Voir également Paul Edwards, Perle noire. Le photobook littéraire, P.U. Rennes, 2016.
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Frédérique Lozanorios
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