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Axe 2 - Littérature & Histoire

Axe pérenne

Dans la continuité de plusieurs actions menées durant la période précédente, MARGE continuera à interroger les rapports entre littérature et écriture de l’histoire. Un des objets de réflexion qui sera privilégié, déjà abordé par le séminaire « Histoire/histoire » dirigé par Mireille Hilsum, concerne les rapports entre écriture du « moi » et récit historique : une journée d’étude sera ainsi organisée au premier trimestre 2015 par Marc Hersant (Lyon 3) et Éric Tourrette (Lyon 3) sur les mémorialistes de la Fronde : même si tous les mémorialistes ne se considèrent pas eux-mêmes comme des historiens, ils observent sur le vif l’Histoire en train de s’écrire, et tout en restant au plus près de l’événement, tentent parfois d’en analyser les ressorts profonds, avec plus ou moins de pénétration. Ils cherchent un équilibre délicat entre un difficile recul et une tendance irrésistible à l’immédiateté déformante. Et paradoxalement, cette tension suscite l’intérêt du lecteur moderne qui y saisit l’événement, sinon dans son introuvable « réalité », du moins dans l’intensité de son vécu, la polyphonie des mémorialistes participant de manière inestimable à sa re-création. C’est cette polyphonie – politique, sexuelle, sociale, religieuse – qui sera au coeur de cette journée. Elle prolongera les travaux précédemment menées autour de l’actualité/inactualité (un séminaire en 2011, un colloque sur l’inactualité en 2012, la publication d’un ouvrage aux éditions Hermann en 2013 ; une journée d’études en 2014 sur l’actualité dans les correspondances littéraires du XVIIIe siècle).
 
Par ailleurs, MARGE poursuivra sa collaboration avec l’équipe TELEM de l’Université Bordeaux 3 dans le cadre du programme « Récit et vérité à l’époque classique » dirigé par Marc Hersant (Lyon 3) et Catherine Ramond (Bordeaux 3), lancé en 2009 et qui a déjà donné lieu à deux colloques, à une publication des actes du premier aux Presses de l’Université d’Artois, et à un second ouvrage actuellement à paraître chez Rodopi. Ce programme a pour principe la rencontre régulière de spécialistes du récit fictionnel (roman, conte, « nouvelle », etc.) et de spécialistes du récit « historique » (au sens le plus large) sur l’époque historique de référence. Il s’agit de confronter, aussi bien sur le plan des pratiques (celles des romanciers, des mémorialistes, des historiens, etc.) que sur celui des théories (des « poéticiens » du roman aussi bien que des historiographes…) les deux grands champs narratifs du « factuel » et du « fictionnel » et d’examiner sur quels points et dans quelle mesure ils se distinguent et se rapprochent aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pour ce faire, on a choisi d’isoler lors de chaque rencontre une des dimensions du récit, par exemple : représentation de la vie psychique, formes et enjeux du portrait, place de la digression et du commentaire, obsession du « naturel » dans la narration… de manière à faire apparaître, sur chacun de ces points, l’éventuelle spécificité de leur « réalisation » en fiction et en histoire, à l’époque concernée. On a également choisi de s’interroger plus particulièrement sur les frontières discursives les plus embrouillées (récit historique/nouvelle historique, Mémoires/faux Mémoires/Romans-Mémoires…) pour mettre en lumière les efforts d’imitation de l’histoire par la « fiction » et pour interroger leurs limites.

Les points forts de ce projet de recherche sont donc :
  • Un dialogue systématique entre deux champs de recherche pour une large part encore séparés, sur la fiction narrative et sur le récit historique au sens large.
  • Une conjonction exigeante d’apports théoriques (sur le récit, les genres, les frontières de l’histoire et de la fiction) et de réflexion sur les spécificités de la période concernée.
  • Une contribution à un des chantiers les plus importants de la recherche actuelle, aux enjeux interdisciplinaires évidents.

La prochaine réalisation prévue dans le cadre de « Récit et vérité » sera un colloque international, qui aura lieu à l’Université Bordeaux 3 pendant le premier semestre 2015, et qui portera sur l’écriture du portrait dans les récits de fiction et dans le récit historique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le portrait est en effet une forme littéraire dont la légitimité est souvent interrogée par les historiens de la période, alors que d’autres, du côté des conceptions les plus évidemment rhétoriques ou mondaines de l’écriture de l’histoire, ou du côté des mémorialistes, l’utilisent sans retenue. Des exemples célèbres de « galeries » de portraits figurent aussi bien dans la Nouvelle historique (au début de la Princesse de Clèves) que dans les Mémoires (par exemple ceux de Retz). Mais les enjeux de ces portraits en série sont-ils les mêmes des deux côtés de la frontière histoire/fiction ? Plus généralement, cette frontière est-elle interrogée voire menacée par la place du portrait dans l’écriture historique ? Les formes du portrait sont-elles les mêmes dans les deux champs, ou observe-t-on au contraire des configurations ou des procédés qui seraient exclusivement réalisés dans la fiction ou dans l’histoire ?
 
Autre objet de réflexion, qui donnera lieu à une manifestation similaire, cette fois à l’Université Lyon 3 : les pratiques et les théorisations de la digression et du commentaire dans les récits de fiction et dans les récits historiques. Le roman au XIXe et au XXe siècle a donné une part importante à la digression et au commentaire, ce dont l’oeuvre de Proust témoigne de manière particulièrement exemplaire. Dans le roman de l’époque classique, les « dissertations » existent, bien sûr, mais le plus souvent attribuées aux personnages du récit, des considérations sur l’amour des personnages de l’Astrée aux longues constructions philosophiques des libertins sadiens. Quelques questions dirigeront le débat collectif : les sujets abordés sont-ils les mêmes en fiction et en histoire (et par exemple trouve-t-on dans le roman des digressions de tactique militaire ou d’étiquette, comme chez Feuquières ou chez Saint-Simon) ? Les commentaires et digressions sont-ils jugés pertinents dans la fiction et dans l’histoire par les poéticiens de l’époque classique, et les arguments invoqués pour les défendre ou pour les interdire sont-ils les mêmes dans les deux champs ? Quels types de métadiscours encadrent dans les oeuvres mêmes ces excroissances discursives à l’intérieur du récit ?
 
Enfin, à titre prévisionnel, un colloque international devrait avoir lieu à l’Université de Californie en 2018, en collaboration avec Malina Stefanovska, professeur à Los Angeles, auteur de deux monographies de référence sur Retz et sur Saint-Simon. Ce colloque a pour enjeu de comparer les formes narratives et les contenus thématiques de trois grands domaines d’écriture à l’époque classique : 1) les Mémoires « authentiques » comme ceux de Retz, de Bassompierre, de La Rochefoucauld, de Choisy, Brienne ou Saint-Simon, mais aussi les Confessions de Rousseau et d’autres oeuvres intégrées a posteriori dans le genre « autobiographique ». 2) les Mémoires de « faussaires », dont l’archétype pourrait être les faux Mémoires de d’Artagnan écrits par Courtilz de Sandras, qui imitent les précédents pour profiter du succès du « genre ». 3) les romans-Mémoires qui restent rares au XVIIe siècle (en dehors de quelques romans de mouvance « libertine ») et se mettent à proliférer dans la première moitié du XVIIIe siècle, et dont certaines des réalisations françaises les plus importantes sont fournies par Marivaux, Crébillon, et plus encore Prévost qui peut apparaître comme le maître du genre.