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Séminaire doctoral | Hybridités

Evènement | 8 octobre 2015

Séminaire doctoral qui fait suite à la Journée d'études "L'hybridité à l'œuvre".

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Depuis le début de ce siècle, il semble que nous assistions à une prolifération du terme « hybride » employé dans des domaines fort divers – tels que l’économie et la finance, les nouvelles technologies, l’industrie automobile, la téléphonie, l’aménagement du territoire ou encore la sociologie – pour désigner tout phénomène qui allie plusieurs techniques ou procédés de création.

Le terme « hybridité » provient du latin ibrida, « sangs mêlés », altéré en hybrida en raison de sa similitude avec le grec hybris, « excès, violence, orgueil, démesure ». Issu du domaine de la biologie et de la botanique ce terme désigne un « croisement de variétés, de races, d’espèces différentes ». En linguistique, le vocable est également employé pour désigner un terme « formé d’éléments empruntés à des langues différentes ». Par extension, il signifie communément ce qui est « composé de deux éléments de nature différente anormalement réunis ; qui participe de deux ou plusieurs ensembles, genres, styles » (Petit Robert 2010).

Dans le champ artistique, pris dans son acception la plus large, l’hybride s’impose dès le début du siècle dernier avec les collages dadaïstes ou les cadavres exquis surréalistes. On ne recherche plus l’authenticité de l’art dans la forme pure mais bien dans la richesse de la rencontre ou la confrontation des contraires.

Les théoriciens de la postmodernité vont avoir recours à partir des années soixante à des termes tels qu’hétérogénéité, multiplicité, ouverture ou pluralité pour qualifier des œuvres qui semblent se diluer, souffrant d’un sérieux trouble d’identité.

Aujourd’hui, le saisissement par les champs artistiques et littéraires du concept d’hybridité semble à première vue destiné à dépasser le statu quo clamé par les postmodernes pour caractériser un objet artistique issu d’un croisement entre deux ou plusieurs genres identifiables, créant ainsi une forme nouvelle ayant des caractéristiques propres. Ainsi, nous assistons à la multiplication d’œuvres littéraires dans lesquelles textes et images cohabitent ou de performances artistiques qui exposent le langage dans sa dimension plastique. Mais l’hybridité se manifeste également sous bien d’autres formes, elle peut venir troubler l’identité générique, dialogique et associer des niveaux temporels ou spatiaux a priori forts éloignés ou encore donner naissance à des personnages à l’identité métissée.

Néanmoins, à l’ère du « 2 en 1 », à l’heure du tout hybride, ce terme récurrent et obsédant ne s’est-il pas vidé de son sens ? La banalisation d’un objet ou d’un concept tend à l’atténuation de sa spécificité, voire de son utilité. En ce sens, l’hybridité est-elle devenue un lieu commun, un mot « à la mode » ou est-elle un enjeu théorique majeur de notre époque ? L’hybridité serait-elle encore une notion opérative ou un simple fourre-tout ? Diffère-t-elle de concepts qui ont connu leur succès auparavant, comme dialogisme, collage…? Dans le champ littéraire et artistique, l’hybridité est-elle le signe d’une prolifération à l’infini des formes d’art, de l’annihilation de toute identité stable ? À l’inverse, sommes-nous tout à fait certains qu’il existe des formes pures, dénuées de toute contamination extérieure ? Après tout, comme le signale Krysinski, l’hybridité a toujours été là (Budor, Geers 2004 : 32). D’autre part, l’hybridité tendrait-elle à accentuer la différence, comme le suggère Toro (2006), ou, au contraire, à une disparition de la différence,  réduisant tout à une égalité fade et sans relief, comme le suggère Byung-Chul Han dans La société de la fatigue (2014) ? 

Afin de ne pas céder au simple « catalogage » face à la succession éphémère des tendances et d’aborder l’œuvre hybride avec des outils théoriques adaptés, ce séminaire sera l’occasion d’interroger plusieurs aspects de l’hybridité dans la littérature et les arts, de la modernité à nos jours, à partir des axes de réflexion suivants :

  1. Hybridité dialogique : il s’agit ici de la transformation dans un texte particulier de différents éléments culturels, littéraires et linguistiques pris dans d’autres textes (intertextualité, citation, allusion littéraire, plagiat, récupération d’un mythe, etc.). Peuvent entrer dans cette catégorie tous les phénomènes de réécriture, c’est-à-dire l’imitation (parodie, pastiche) –En effet un texte littéraire peut intégrer plusieurs registres, incorporer d’autres langues grâce à des emprunts lexicaux ou syntaxiques, des dialogues, des citations d’auteurs étrangers– ou la translation (traduction, transcription, adaptation), ainsi que la polyphonie et le plurilinguisme tant dans le domaine littéraire que des arts plastiques. L’hybridité langagière, les emprunts à d’autres langues apparaissent dans le Journal de Jean-Luc Lagarce, et la nature même du journal intime, dialogique, fait que cette œuvre est non seulement un dialogue avec soi, mais un dialogue avec le lecteur, qui apparaît dès les premières pages. Il en va de même des différentes lectures du mythe de Don Juan, qui se nourrissent de toutes les versions existantes mais aussi des études psychologiques ou théoriques.
  2. Hybridité spatio-temporelle : Le temps apparaît hybride à travers la coexistence et la fusion de plusieurs sphères temporelles (anachronismes, rêves, ruptures diverses), l’espace se caractérise par une superposition de lieux antonymiques ou simplement distincts (hétérotopie). C’est évident dans le roman graphique Historias del barrio, de Gabi Beltrán, où  le texte joue de la temporalité pour mettre en scène le chaos à la fois individuel, collectif, urbain que le narrateur s’efforce d’estomper en parsemant des indices destinés à faire se rapprocher les deux temporalités, les deux modalités narratives que sont l’iconotexte (lui-même pétri d’hybridité) et les textes : une méta-hybridité puisqu’on recourt à une hybridité générique et formelle pour rendre compte de l’hétérogénéité de la quête de sens et d’individualité. Si l’hybridité traduit une certaine force créatrice en raison de la coexistence d’éléments disparates, elle peut également témoigner de difficultés pour les concilier harmonieusement.
  3. Hybridité identitaire : En proposant un « au-delà », c’est-à-dire une alternative aux concepts traditionnels de singularité et de totalité, la notion d’hybridité, notion clé des études postcoloniales, se focalise sur la différence et la diversité, reconnaît la multiplicité de l’identité du sujet exilé, de l’immigrant ou du déplacé, et rejette l’essentialisme, ce qui permet d’étendre le pôle de la périphérie à toutes les marges : les « marginaux » en raison de leur ethnie mais également de leur genre et de leur préférence sexuelle. La figure du déplacé ou du métis étant l’une des déclinaisons d’une poétique de l’hybride. C’est le cas des personnages des films L’Afrance et Juju Factory. Africains, noirs, immigrés, leur quotidien est celui des minorités, des centres de retentions, de l’a-France, avec le suffixe privatif. C’est aussi le cas des auteures immigrées Laila Karrouch ou Najat El Hachmi, entre deux langues, celle maternelle, l’arabe, et celle dans laquelle elles ont été scolarisées, le catalan, leur langue de communication. Ou de Jorge Carrión, à la fois Jorge et Jordi, charnego et catalan, dont la Crónica de viaje pourrait être perçue comme une quête identitaire, une quête familiale, celle des origines paternelles. C’est également la recherche identitaire qui est au cœur de l’écriture de Chloé Delaume, quête qui passe par l’écriture, – « je réinvente ma personne avec l’écriture » –, réinventant également ce genre hybride qu’est l’autofiction. Dans Corpus simsi, variation autour de la notion d’autofiction, Chloé Delaume s’incarne en avatar du jeu vidéo Sims. L’hybridité formelle de l’ouvrage, qui contient des captures d’écran, des croquis de Christian Lacroix et des éléments hétéroclites et intermédiaux est au service des questions identitaires. A travers ces quelques exemples, une question émerge : l’écriture hybride, celle qui se nourrit d’éléments disparates et hétéroclites, est-elle pour ces auteurs la plus apte à exprimer une identité morcelée?
  4. Hybridité générique et intermédialité : nous désignons ici l’éclatement des genres et la coexistence au sein d’un même texte de genres ou de moyens d’expression différents. Mais également les formes et les genres dépréciés du point de vue littéraire qui peuvent se trouver dans de nombreuses œuvres contemporaines.

Outre les textes transgénériques, cet axe concerne également les romans intégrant une bande-son ou des images au même titre que des œuvres mêlant, par exemple, théâtre et vidéo, poésie et peinture ou tout autre couple susceptible d’illustrer l’hybridation des formes. L’auteure espagnole Carmen Martín Gaite offre avec sa Visión de Nueva York un carnet de voyage, un album illustré, où le collage côtoie le texte ; les journaux de Jean-Luc Lagarce hésitent  entre journal intime, carnet de citations et laboratoire de création littéraire ; Jorge Carrión, dans sa Crónica de viaje, offre une œuvre hybride où le moteur de recherche Google et les technologies sont mises à contribution pour narrer une histoire, pour donner du sens, pour rendre compte d’une histoire du passé (c’est l’un des sens de crónica), à la fois story telling et data (les données) ; Chloé Delaume propose des textes se situant au croisement de  la littérature, du jeu vidéo, de la performance ou de la mode…

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Lieu(x)

Campus des Quais

Bâtiment de la recherche
18 rue Chevreul
69007 LYON
 

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Contact

Frédérique Lozanorios

frederique.lozanorios@univ-lyon3.fr

Type

Colloque / Séminaire

Thématique

Manifestations scientifiques, Culture, Lettres, Sciences sociales